Adossée à l’écorce rugueuse, attentive à tous ces bruits, à tous ces remous d’une nature vivante qui rendent le silence perceptible, la petite reste pensive. Elle se sent si bien contre le tronc du vieil arbre dont l’écorce craquelée et boursouflée de toutes parts, ne laisse rien deviner de la douceur de son aubier clair et lisse. Un tronc tellement démesuré qu’une dizaine d’enfants se donnant la main ne pourrait suffire à l’enserrer dans leur ronde. A hauteur d’homme, une énorme verrue, grise, difforme, a poussé, se développant à la place d’une branche que l’on avait pris soin de couper pour donner au fût plus de vigueur. A l’endroit de la mutilation, la cicatrice avait enflé au point de prendre l’aspect d’un visage grimaçant. Un visage qui effrayait la petite lorsqu’elle était encore enfant. Elle l’imaginait appartenir à une sorcière ou à un esprit malveillant qui aurait trouvé refuge dans l’arbre solitaire. En grandissant, pour conjurer ses craintes, il lui arrivait de se poster devant la face bouffie, et, bravement, d’en scruter chaque partie : le nez crochu, la bouche édentée, et cet œil qui ne vous lâchait pas quelque soit votre déplacement. A l’école, la maîtresse avait expliqué que la Joconde, une jeune femme très belle dont le portrait avait été réalisé par un certain Léonard de Vinci, avait la particularité de vous suivre ainsi du regard. Le visage du tilleul n’avait certes rien d’une œuvre d’art, mais la fillette aimait s’essayer à ce petit jeu, s’amusant à chaque fois de voir l’illusion se répéter. Et c’est comme cela, qu’au fil des ans, elle avait fini par apprivoiser cet être étrange, pour ne plus du tout en avoir peur. Aujourd’hui, elle a compris qu’il ne s’agissait que d’une boursouflure de l’écorce rongée par les pluies et les parasites. C’est un phénomène qu’elle a fréquemment observé sur d’autres arbres, des tilleuls essentiellement. Mais elle a fait sienne cette idée qu’il s’agissait d’un visage et a finalement conclu que celui-ci appartenait au dépositaire des mystères et des secrets de l’arbre, lui-même gardien de toutes les vies qu’il a pu abriter. Assise au pied du centenaire qui, comme chaque été, sent courir dans ses veines la sève nouvelle, la petite se sent elle aussi, parcourue par moments d’étranges vibrations qui lui donnent l’impression d’entrer en communion avec le monde végétal, et dans un même temps, en communion avec le monde inconnu, lointain, des âmes et des cœurs de ceux qui ont vécu ici, avec leurs moments de peine et de joie.

Si le Theil me racontait-SolangeTellier-Tous droits réservés

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