ouvrages et activité littéraire de Solange Tellier

Archives de Catégorie: 07. Autres mots en liberté, états d’âme, histoires

Trop dur de parler à la radio ! J’étais morte de trac. Interviewée par Jean Tuffou, j’ai vraiment eu du mal à exprimer tout ce que j’aurais bien aimé dire. Peur sans doute de déraper sur des chemins de traverse sur lesquels je n’avais pas vraiment envie de me laisser porter. Intimidée pour parler du Méjean qui est un monde tellement à part et ne me sentant pas totalement légitime pour évoquer une terre, des coutumes et autres choses revenant de droit aux Caussenards.

Je réalise, mais je le savais déjà, que je suis plus à l’aise dans l’écriture. L’oral, très compliqué !

J’ai écouté ce soir la première diffusion. Mes hésitations, mes silences sont parfois pesants. Je valide en revanche mes choix musicaux qui parlent mieux de moi que je n’ai su le faire.

Rediffusions samedi prochain 4 mai à 11heures et dimanche 5 mai à 9h. Si le coeur vous en dit. Merci de votre indulgence.

Radio Lengadoc sur le net :

Montpellier 95.4 – Milhau 106.1 – Mende 91.0 Saint-Affrique 88.5

Premier choix musical et déjà l’émotion prend le dessus.



Mon Bled

Petite réunion Charente Libre au sommet. Les conversations vont bon train. L’orthographe et ses détournements majeurs sur la sellette. Et les problèmes de l’enseignement s’ensuivent inévitablement surtout quand on sait que dans la série « correspondants » la catégorie « enseignants » ne fait pas dans la demi-mesure. La discussion s’anime. Normal compte tenu de l’importance à laquelle se devrait l’orthographe dans la presse, aussi populaire fût-elle ! Importance qui parfois me laisse pantoise lorsque je constate que mes articles sans faute aucune se retrouvent à la une avec des fautes ajoutées par un ou une secrétaire de desk un peu zélé -e- (Pardon, ahah, je balance, mais il y a prescription)

« Le » Bled donc. Il avait déjà dix ans quand je suis née. Il a pourtant suivi une partie de ma scolarité et je me souviens des samedis après-midi consacrés aux exercices du dit Bled, car dans les années 60 il y avait classe le samedi toute la journée. S’il a ensuite accompagné mes tout débuts professionnels, il a dû prendre sa retraite avant moi. Cause : « obsolète » au dire de certains inspecteurs d’académie. Fini. A la retraite. Au rebut « Le » bled.

Obsolète ? Pas si sûr … et les ministres qui se battent pour nous vendre du tableau numérique et critiquer les enseignants qui ne feraient pas leur boulot, devraient peut-être se pencher tout simplement sur la question du Bled. Un petit ouvrage à pas cher, qui se glisse dans tous les cartables, qui s’ouvre à tout moment sans avoir besoin de connexion ni d’électricité.

Mais qu’es aquo ce Bled ?

Le Bled porté sur les fonts baptismaux de chez Hachette, n’était point l’enfant de Jeanne ni tout à fait celui de Louis, mais bien celui d’Odette et Edouard, mentionnés sur la première de couverture comme E & O. Instituteurs tous les deux, ces deux-là se sont rencontrés et aimés sur les bancs de l’école où ils ont fini par engendrer ce petit qui usera non pas ses culottes mais plutôt ses pages sur les tables de la communale et même, dans un élan d’égalité, tout pareillement sur celles de la paroissiale, ennemie jurée de la première. Un petit ouvrage uniquement partisan donc de la belle orthographe qui, plus que la Bible, plus que le petit Livre Rouge a su réconcilier sur les bancs de l’école des millions de petits Français dans le même esprit, le même projet, d’accession à la culture et à la réussite sociale.

Avant ce fils cadet, et enfant prodige, il y eut dans la vie des Bled, Annie et Jean-Paul qui, bien que moins connus, ne doivent pas être trop mécontents du succès remporté par le benjamin, ne serait-ce que financièrement parlant. Bel héritage ma foi. Héritage qui profita également à ces petits élèves studieux qui ont usé leurs yeux sur les lignes serrées noircissant les pages jaunissantes et perdu leur latin en cherchant l’italique, tout en gâtant quelques plumes sergent-major à faire et refaire les exercices qui expliquaient comment « fendre une bûche » à tous les temps du passé et du futur et à toutes les formes de notre belle langue française, sans omettre de conseiller pour le présent de « surveiller le feu pour qu’il ne s’éteindre pas ».

Le bled, ouvrage de français se faisait tout à la fois livre de morale lorsqu’il s’agissait de décliner à toutes les personnes de l’impératif que l’on ne devait « souffrir aucune malpropreté sur vous, sur vos vêtements, ni dans votre demeure », et aussi de « prendre la résolution d’exécuter ce que vous devez faire et exécutez de ce que vous avez résolu », qui apprenait aussi à se méfier de l’accent du « fermier (qui) —- rentré les foins »


Le 31 août 1991, Odette Bled décède à l’âge de 85 ans. Edouard s’éteint (règle des verbes en indre p.92) à son tour, le 29 décembre 1996, à (a sans accent, à avec accent, 4ième leçon p.5) l’âge de 97 ans. Le petit Bled lui, continue (présent des verbes en ier-uer p. 85) encore sa route à soixante ans passés, après avoir été le compagnon (m devant m, b, p p. 152) de classe de millions d’élèves attentifs et appliqués ( cf règle d’accord de l’adjectif qualificatif p. 22 du bled CM-6ième-5ièm, édition 1975).

Vingt millions exactement si on (on, ont p.3) s’en réfère au nombre d’exemplaires vendus à ce (ce ou se, p.8) jour. Mais on doit être loin du compte à présent, si l’on considère que chaque (marque le singulier, p.38) exemplaire est passé dans des dizaines de mains. (surtout hier ah ah)


Pour ma part je n’utilise plus le Bled en classe, mais j’en ai toujours un exemplaire dans mes tiroirs de bureau à l’école et à la maison. J’ai pourtant découvert aujourd’hui-même avec surprise que la petite Molly, arrivée de Grande-Bretagne il y a quatre ans, avait dans son cartable un exemplaire du Bled qu’elle me dit trouver très instructif.

On ne trouve plus aujourd’hui dans les fascicules quelque peu relookés, de feu mais des ordinateurs à éteindre, plus de blanquette de veau à la cantine mais des hamburgers à la cafétéria, plus de vieux murs lézardés mais des murs d’immeuble élevés …

Comme un petit coup de jeune, quoi !

Dans la version de 1990, déjà, le fermier ne rentre plus son blé mais le routier son camion et ce n’est plus l’enfant qui avoue sa faute mais le mécanicien qui avoue son impuissance à réparer ce moteur.

Aujourd’hui, le soleil met toujours de la joie dans les coeurs, et il est toujours amusant de se déguiser. Le renard vient toujours paraît-il rôder autour du poulailler et le boulanger pétrit toujours la pâte pendant que le vagabond mendie son pain.

Et vous ? Avez-vous connu « Le » Bled ? L’avez-vous toujours dans un petit coin de votre bureau « au cas où » ? Dites-moi tout.


Le cri- Edvard Munch

Lorsque vous n’avez plus les mots. Pour dire l’horreur. Pour dire l’injustice. Lorsque vous n’avez plus les mots pour dire : ça suffit. Lorsque vous n’avez même plus ce pouvoir d’engendrer par vos mots quelques étincelles de lucidité chez vos congénères, pas plus que d’y faire fleurir un peu de poésie. Lorsque vous vous sentez seule face à cette barbarie du monde qui entre dans votre tête pour l’envahir avec ses chars, ses canons, les missiles et toute l’artillerie, avec ses cris, ses enfants assassinés, ses hommes et ses femmes affamés et massacrés. Quand vous en êtes à vous demander combien il reste encore sur cette planète de personnes bonnes, de personnes généreuses, de personnes sensées, de personnes prêtes à résister à cette invasion de la sauvagerie universelle. Quand vous en êtes à vous demander si vous n’êtes pas la seule à chercher encore la vérité. Parce que la vérité elle n’est pas où l’on veut bien vous la dire et que si vous acceptez de croire à celle que l’on veut vous imposer vous savez que vous perdez votre liberté de penser, votre liberté d’aimer, votre liberté tout court et vous savez que tôt ou tard vous serez complice de tous les massacres, de toutes les barbaries, de toutes les croyances aussi, de tous les mensonges, les faux-semblants. Vous devenez complices des menteurs, des manipulateurs, des guerriers de la finance qui font la pluie et le beau temps sur la planète. Plus la pluie et les orages d’ailleurs que le ciel bleu illuminé de soleil ou celui rempli d’étoiles. Quand vous en êtes à ne plus être que spectateur du désastre et que vous voyez tomber un à un ceux qui vous entourent, sombrant dans ce noir enveloppant la Terre d’un voile qui ternit de la même manière leur propre coeur, leur propre cerveau. Quand vous n’avez même plus la force de crier, ni celle de prier. Quand la détresse du monde a envahi votre corps et votre cœur pour se faire votre propre détresse. Quand la détresse du monde ravive en vous vos propres démons. Ravive en vous les manques, les peurs, les injustices et les abandons. Quand vous ne voyez plus d’espoir et que vous ne croyez plus au réveil de l’Humanité. Vomir.

Vomir sa tête qui explose. Vomir son cœur brisé en mille éclats de verre. Vomir son ventre qui ne sait plus le plaisir de se nourrir ni d’aimer. Vomir sa souffrance et sa tristesse. Vomir l’injustice. Vomir sur ce monde qui tourne à la folie. Vomir sur les imbéciles heureux qui font la pluie et le beau temps. Vomir sur ce que l’on a fait et ce que l’on n’a pas fait. Vomir son impuissance. Vomir le silence des jours. Vomir l’indifférence. Vomir à en tomber. Vomir à en crever. Envie d’en finir et ne pas avoir le courage de mourir.

Solange Tellier – 5 mars 2024


à gauche : Les Foins Jules Bastien-Lepage – à droite : ma mère en communiante (reproduction interdite)

Le jour où je me suis trouvée à Verdun devant le tableau de Jules Bastien Lepage, lors de l’expo qui lui était consacrée, j’ai été subjuguée. Par quoi ? je ne savais pas exactement. Ce tableau, que je connaissais déjà par des reproductions, ne cessait de m’interpeler. De tous les tableaux du peintre meusien dont j’apprécie l’oeuvre c’était celle qui retenait le plus mon attention. Le regard de cette jeune femme avait quelque chose de fascinant et d’émouvant à la fois. Un regard qui en disait long sur sa condition de paysanne et sur un avenir qu’elle semblait deviner loin devant elle. Il me semblait retrouver en elle ce que j’avais deviné chez les femmes de la campagne que je fréquentais enfant. Mes tantes essentiellement. Je pensais que cela suffisait à faire naître en moi cette émotion particulière. Le tableau me fut important au point de le faire figurer dans mon premier ouvrage pour illustrer un passage décrivant la vie paysanne du siècle passé. Dans cet ouvrage : « Si le Theil me racontait », des fils avaient été tirés, comme détricotés, au point de faire se lever quelques secrets, pas exactement de ma vie, mais autour de ma vie. Ce fut un premier bébé très surprenant précisément par ces ponts invisibles qu’il avait jetés.

Après le petit succès de cet ouvrage, je passai à autre chose. La vie, et puis d’autres ouvrages encore, chargés eux aussi de sens. L’émotion suscitée par le tableau fut remisée quelque part. Je ne sais où. Dans un coin de mon coeur ou de mes mémoires sensitives. Jusqu’au jour assez récent où je mis en quête de photos de famille. Cette famille qui m’était bien étrangère, à commencer par ma mère que je n’avais pas connue. Je trouvai parmi les clichés jaunis entassés dans une boîte à chaussures un des rares sur lesquels figurait cette dernière.

Que dire de plus ?

Les foins. Ma mère.

C’est à la fois surprenant et très émouvant.

Elle était belle ma mère. Je suis triste de ne pas l’avoir connue.

flash-back : un texte d’André Theuriet ici > https://siletheilmeracontait.wordpress.com/2011/11/27/nouveau-point-de-vente/